Les fables de mon village: une école dans l’oubli

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Les fables de mon village: une école dans l’oubli

L’un de mes exercices spirituels de prédilection est la contemplation de la voûte céleste. Rassurez-vous je ne suis pas un mage ni un astrophysicien. Pour moi c’est un spectacle ineffable que de contempler le ciel criblé d’étoiles en des périodes de pleine lune.

Une vision nostalgique

Hier soir, je m’adonnais à cet exercice, plongé dans l’extase que m’offrait le clair de lune, quand je fus entrainé comme dans un songe par des souvenirs d’enfance faits de contes, de chants, de danses et de jeux.
Ces souvenirs ont surgi dans mon présent éphémère et fugace en cet instant où le ciel, drapé dans son manteau étoilé, ne présentait aucune usure du temps. C’était un tableau d’éternelle jeunesse que je contemplais. Ce ciel plus brillant que lorsque j’avais 5 ans, créait en moi un paradoxe de sentiment de joie insaisissable et d’angoisse nostalgique.

Lomé à l’époque

Je suis de la promotion des nouveau-nés des années 80. Je suis né à la capitale Lomé. Mais la Lomé de mon enfance avec celle d’aujourd’hui n’ont rien de parallèle.

Lomé, la capitale du Togo, la grande ville de mon enfance, n’était en réalité qu’un gros village.

L’électricité était rare sinon rarissime. La télévision n’était pas à la portée de toutes les familles. Un poste téléviseur est souvent dévoré par des dizaines de pairs yeux venant d’un peu partout du quartier. Il n’y a d’ailleurs qu’un seul office de télévision (la télévision togolaise TVT) et une seule radio (la radio Lomé).
La communication était donc un luxe et s’était pour les riches gros ventres du quartier qui ne s’empêchaient de faire de leurs postes téléviseurs des appâts pour les jeunes filles.

Du coup nos grands moments et les plus fréquents de divertissement ne se faisaient pas les yeux plongés, le soir, dans l’écran de télévision. Nos divertissements étaient bien ailleurs et bien meublés.

Ces soirées de contes

Les soirs, pendant les clairs de lune, après le diner, nous nous réunissons autour de Nagan, la vielle de notre maison (ici nous étions dans une maison de location). Les uns se regroupant par genre ou par affinité. Les autres comme moi plus petits, blottis contre nos mamans, la tête posée sur leurs genoux pour mieux s’y accrocher lorsque comme il arrive trop souvent, l’histoire contée comportait des génies de la brousse dont on avait tellement peur.

La plupart de ces récits sont des fables où interviennent des animaux: le lion incarnant la force et parfois l’injustice, le lièvre la ruse, la tortue la patience ou la prudence… Ces récits ouvraient nos yeux d’enfants sur des mondes féeriques où tout est enchanté mais aussi parfois dramatique: les animaux qui parlent entre eux, avec les humains; des objets inanimés, la lune, la pierre… qui ont la parole; la forêt, la mer, les fleuves qui à travers ces récits nous livrent leurs secrets, leurs habitants: des génies, des dieux, des déesses qui souvent incarnent la justice.

Ces trésors de savoirs enfouis en moi, m’ont très tôt rapproché des fables de la Fontaine, qui pour moi n’étaient qu’un recueil des fables de mon village.


• Ces soirées, une vraie école

Ces récits où le fabuleux se mêle au vraisemblable est une véritable école de cosmogonie et de morale.
L’aspect cosmogonique de ces récits tout en nous initiant au mystère des éléments de la nature, avait le mérite de satisfaire les nombreuses questions que nos parents n’arrivaient pas à répondre.
Lors de ses soirées de contes, de chants et de danse, le conteur ou le fabuliste avait un but aussi didactique. Ces soirées étaient une école informelle qui nous préparait indirectement à la vie sociale et à son intégration.

Nous pouvons donc affirmer avec Louis-Vincent Thomas et Réné Luneau dans La terre africaine et ses religions, que ces moments de contes représentaient bien un système éducatif « dont le but évident est d’unifier puis de ren-forcer le moi tout en l’aidant à se situer dans l’univers cosmique et le monde social » (THOMAS Louis-Vincent, LUNEAU René, 1986:40).

Un autre aspect de ces récits ou bien du conteur que je veux bien souligner est la force de l’oralité.
La force de la parole rythmée, mesurée et prononcée; cette parole qui servait de canal au récit est en soi l’élément rhétorique qui catalysait nos attentions et nous laissait sur notre soif.

Ces souvenirs emportés par le vent de la modernité

En somme j’ai essayé avec des mots qui sont loin des images de ma contemplation, de vous rendre compte de ce qui créait en moi un sentiment de joie insaisissable et d’angoisse nostalgique.

Après la disparition de cette vision nostalgique, il ne me restait qu’une angoisse sidérante.

Cette vision a en effet disparu avec son contenu. J’ai cherché en vain si dans ma société actuelle, pareil moments se vivaient encore, si ces joies d’écouter le soir au clair de lune des histoires racontées par des vielles édentées étaient encore la prédilection de la nouvelle génération d’enfants.

Mais hélas! Qu’est-ce que je vois? Des vieillards aux bébés, ils sont à la télé, plongeant leur nez et âme dans l’écran. Qu’est-ce que je vois? Des enfants prenants d’assauts les clubs de jeux vidéo.

Ont-ils tort? Ont-ils raison? On me dit : »mais ne vois-tu pas que le monde évolue, que les choses changent, que nous aussi Africains, sommes dans la modernité, qu’il nous faut bien s’insérer dans l’Histoire pour éviter les coups de gueule d’un Sarkozy!!! ».

Ah, oui je vois, je comprends. Mais mon angoisse, ma nostalgie, mon amertume amère reste bien vivace tant que ces souvenirs saisissants de mon enfance resteront dans mon cœur.

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Commentaires

Memela
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Bonjour,
J'ai découvert votre blog aujourd'hui et je suis agréablement surprise! Les articles sont plus intéressants les uns que les autres et soulèvent beaucoup de questions/réflexions qui me traversent souvent l'esprit!
Pour en revenir à votre article, je partage aussi la nostalgie de "cette" enfance, je trouve ça vraiment dommage de perdre ces pratiques!
Bonne continuation =)

Charles Lebon
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Salut Memela,

Merci pour ton intérêt à mon blog. ça m'encourage à continuer et à mieux faire!

David Kpelly
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Le vent de la modernité, tu dis, Charles! Et de la débauche! Etant de la même génération que toi, je ne peux qu'avoir ce même sentiment que tu ressens. Hier nous manque terriblement!

Charles Lebon
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Oui! mon frère! hier nous manque en effet, et terriblement.

Amitiés!