La Sorcellerie : Illusion collective ou réalité obscure ?
Ce beau matin dans notre quartier Bè à Lomé, nous nous sommes réveillés par des cris de disputes inhabituels.
L’auteur de ces cris n’est d’autre qu’une femme voisine de notre maison. Elle était malade il y a plus de deux ans. Sa santé s’était détériorée et elle connaissait depuis peu amaigrissement prononcé.
Ce matin là, armée d’une machette, elle se dirigea résolument dans une autre concession pas loin de la nôtre.
Son motif ou sa raison belliqueuse réside dans un rêve qu’elle vient de faire. Dans ce rêve, elle prétend avoir vu une femme dans cette concession qui serait à l’origine de sa maladie.
Cette femme du nom d’Akouvi, est une vieille dont l’âge avancé aggravé par le fait qu’elle ne fréquente aucune église chrétienne était même déjà la cause des soupçons de sorcellerie à travers des demi-mots et des ouïes-dires.
Ce matin-là, c’était une honte inimaginable pour la vieille femme ainsi que pour toute sa famille. Elle fut accusée publiquement de sorcellerie sur la base d’un rêve.
Un an après, la femme-accusatrice décéda avec tous les signes reconnaissables du SIDA.
Selon des analyses claires et sans équivoques, cette femme était atteinte du V.I.H. mais jusqu’à présent, bien que la cause de sa maladie soit connue, personne des proches de sa famille n’est venu démentir aussi publiquement que l’accusation, les faits portés contre la vieille femme.
Un autre fait qui c’est déroulé à Aného, autre ville du Togo, nous laisse aussi interrogatif sur la question de la sorcellerie.
La dame Akuvino âgée de 78 ans était tombée malade. Maladie qui d’après les guérisseurs l’emportera manu-militari dans l’autre monde.
Mais durant les trois jours qu’avait duré son agonie, elle ne cessa de se livrer à des récits macabres ; confessant tous ceux qu’elle a tué grâce à la sorcellerie. Entre autre ces récits, elle raconta que c’est depuis son enfance qu’elle accompagne fréquemment sa mère dans des réunions nocturnes en haute forêt. Durant ces réunions, dit-elle, ils font des rituels divers parmi lesquels la consommation de la chaire humaine (ou de la force vitale).
Elle raconta aussi qu’elle était à la base de la stérilité de sa coépouse et finalement de sa mort ainsi que des situations difficiles de la famille.
Lors de ses funérailles, ces récits ne manquèrent pas d’alimenter les conversations où chacun y met de son piment.
Ces faits récurrents au Togo, en Afrique et même partout ailleurs (on se souvient de la chasse aux sorciers que l’Eglise catholique organisa par le moyen de l’inquisition en Europe et surtout en Espagne), méritent qu’on s’attarde un peu sur la question de la sorcellerie et, peut-être suite à nos échanges, réviser nos conceptions à propos à travers quelques questions fondamentales : La sorcellerie existe-elle réellement ? Par quel mode peut-on l’acquérir ? Son existence relèverait-elle de l’illusion collective ou de la connaissance objective ? Pourquoi tout le monde n’en a pas ? Comment les sorciers opèrent-ils, quand et quel fait peut-être qualifié de fait sorcier ? Qui généralement est soupçonné ou accusé de sorcellerie ? Et peut-être aussi la grande question qu’on devrait se poser au début, mais qui serait mieux à la fin, puisque une fois ces questions ébréchées, nous verrons certainement claire : Qu’est-ce que la Sorcellerie en somme ?
Sans prétendre répondre à ces questions sur lesquels, j’espère, porterons nos échanges, je vous présente ce portrait du sorcier (Source : THOMAS Louis-Vincent, LUNEAU René, La terre africaine et ses religions, Paris, L’harmattan, 1986, p78):
Sorcier (équivalent de Witch en anglais)
Etat psychologique: Inconscient de son état et de ses actes. Animé en fait par une force incontrôlable
Responsabilité: Responsable devant le groupe
Motivation: Pas de motivations objectives (ou du moins plus rarement). Accomplit ses actions malfaisantes de façon quasi permanente.
Etat spirituel: Surtout un état. Le sorcier (witch) est possédé ou habité par une entité malfaisante, que décèlent, sous forme de symbole matériel, la divination ou l’autopsie.
Mode d’opération: Agit par machination surnaturelle, indépendante de sa volonté (télékinésie, bilocation, métamorphose).
Travaille à distance et n’a pas besoin de relais matériel (fantasmes de dévoration).
Mode d’acquisition: Situation héréditaire, donnée par essence. Peut se confirmer (fait plus rare) par initiation.
Comme l’affirme l’œuvre que nous avons déjà cité :
La sorcellerie est une somme de fantasmes auxquels le groupe adhère. La victime existe, mais elle fabule. Et puisqu’elle accuse, il faut bien trouver l’agresseur. Or personne n’a jamais surpris le sorcier dans ses actions, pas même le voyant ou l’oracle ; personne n’a jamais assisté aux prétendus sabbats nocturnes. Mais puisqu’il est nécessaire qu’il ait un sorcier, on mettra tout en œuvre pour le découvrir caché sous des apparences d’un lion, d’une hyène, parmi ceux qui ont trop ostensiblement réussi ou échoué, parmi les êtres sans défense, le vieux qu’on accusera de vouloir régénérer ses forces en mangeant le double d’un enfant (…). Le pire, c’est que les oracles lui donnant tort, le pseudo-sorcier finira par admettre son crime et accepter l’accusation. Tout se passe comme si la sorcellerie n’était qu’un jeu théâtral que la société se donne à elle-même. (Ibid., p87)
Toutefois, dans l’analyse du phénomène de » la sorcellerie, la polarité réel/imaginaire reste à définir.
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